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Secret professionnel : une garantie des droits humains en péril

Date de publication : ven 12 Sep 2025

Secret professionnel : une garantie des droits humains en péril

Le secret professionnel protège la vie privée et constitue le socle de la relation de confiance entre citoyens et intervenants sociaux, médicaux ou juridiques. En multipliant les obligations de levée automatique, le législateur fragilise non seulement les (potentielles) victimes, mais aussi les professionnels qui les accompagnent. Le Centre d’Action Laïque alerte sur ces dérives sécuritaires qui, sous couvert de protéger, risquent de miner l’État de droit.

Le secret professionnel tend à être vidé de son sens depuis plusieurs années, dans un contexte notamment marqué par la lutte contre le terrorisme qui fait s’effacer différentes garanties essentielles de protection des droits humains au profit d’une approche strictement sécuritaire.

Un pilier de la relation de confiance

Pourtant, le secret professionnel est une garantie essentielle du droit à la vie privée. Il protège chaque personne en assurant la confidentialité des informations qu’elle communique dans une multitude de domaines (santé, social, prévention, etc.). Comme relevé par la Cour constitutionnelle en 2019 (arrêt 2019/44), cette condition de secret constitue la condition sine qua non pour que s’instaure un lien de confiance, nécessaire afin de pouvoir apporter une aide utile à la personne qui se confie à son médecin, son avocat ou encore son assistant social. Il est bien souvent la première étape – indispensable et fondamentale – d’une bonne prise en charge. Or, beaucoup de personnes en situation de violences peinent à se reconnaître comme victimes et hésitent à parler de ce qu’elles subissent.

Par conséquent, en multipliant les situations où le secret professionnel doit obligatoirement et automatiquement être levé, le législateur néglige à la fois les besoins des personnes qui se confient, heurtant leur droit à la vie privée, mais aussi les personnes qui reçoivent ces secrets. En effet, celles-ci, en fonction de leur secteur d’activités, sont formées à évaluer l’équilibre entre la préservation du secret et la protection d’autrui.

Des dérogations déjà prévues par la loi

Par ailleurs, le cadre légal actuel leur permet déjà de se délier de leur devoir de secret pour répondre adéquatement à des situations graves, qui menacent directement les personnes avec lesquelles ils sont en contact. De la même façon, s’ils n’interviennent pas pour aider ces personnes – par exemple, en prévenant les autorités judiciaires –, ils pourraient être reconnus coupables de non-assistance à personne en danger. 

Penser qu’un intervenant ne pèse pas chacune de ses décisions quotidiennes dans cette perspective est inexact, voire injurieux. Ainsi, comme le rappelle par exemple le Conseil communautaire de la Prévention, de l’Aide à la jeunesse et de la Protection de la jeunesse (CCPAJPJ), « les intervenants de l’aide à la jeunesse sont conscients de l’indispensable attention à avoir quant aux révélations d’un éventuel danger pour un tiers dont ils auraient connaissance dans le cadre des confidences ou informations qu’ils reçoivent de jeunes et des familles ». À cet égard, rappelons que le CCPAJPJ, ainsi que la Fédération Laïque de l’Aide à la Jeunesse (FLAJ) soutiennent que toute érosion du secret professionnel peut fragiliser des années de travail et risque de dissuader les jeunes de solliciter de l’aide auprès des intervenants.

Quand la logique sécuritaire prend le pas sur l’aide

Dans ce cadre, le CAL observe avec beaucoup de prudence les derniers développements législatifs en matière de secret professionnel. De plus en plus fréquemment, la loi rend automatique la levée du secret professionnel dans un nombre de plus en plus important de domaines et empêche par-là toute mise en balance par les professionnels détenteurs de secret entre les différents intérêts en présence.  

C’est ainsi que le CAL s’inquiète d’une proposition de loi N-VA loi (De Wit et consorts – DOC 56 0778/00) qui transforme le « droit de parole » des professionnels en « obligation de parole » si un mineur ou une personne vulnérable est victime d’infractions très graves ou risque de le devenir.

Si cette mesure peut paraître légitime au premier abord – elle est notamment inspirée des travaux de la commission d’enquête sur les abus sexuels dans l’Église –, elle ne garantit pas pour autant une meilleure prise en charge des (potentielles) victimes, la stricte réponse pénale n’étant pas nécessairement celle qui est la plus adaptée à la situation que le professionnel, lui, connaît.

De la même manière, le CAL s’interroge quant à l’obligation pour le secteur de l’Aide à la jeunesse de collaborer à l’alimentation de la base de données commune « Terrorisme, extrémisme et processus de radicalisation » (T.E.R.), conformément à un Accord de coopération en projet entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’État fédéral. Si la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et le radicalisme est bien entendu nécessaire et légitime, elle ne permet pas pour autant de démanteler l’État de droit, au risque de sombrer dans l’arbitraire et l’autoritarisme.

En l’espèce, la loi qui crée cette base de données considère que l’administration de l’Aide à la jeunesse serait un « service partenaire » des services de renseignement ; à ce titre, il lui est fait obligation de transmettre toutes les données dont elle dispose. Cette obligation ne tient pas compte des missions et des finalités spécifiques de l’aide à la jeunesse, qui ne peuvent pas se penser sous l’angle strictement sécuritaire. Une imbrication entre la lutte contre le terrorisme et la prise en charge appropriée des mineurs qui relèvent de l’Aide à la jeunesse doit garantir que ce ne soit pas contre-productif à court, moyen et long terme.

Dans un contexte marqué par une mise en tension généralisée des droits fondamentaux, le CAL insiste sur la nécessité de sauvegarder les garanties existantes. Le cadre légal en matière de secret professionnel permet déjà des dérogations à celui-ci et l’expérience nous apprend que les tentatives législatives tendant à amoindrir davantage son principe font régulièrement l’objet de censure de la Cour constitutionnelle (vis-à-vis des avocats ou des assistants sociaux, par exemple).

Il est temps de faire confiance aux professionnels détenteurs de secret et de rendre son sens à la relation de confiance entre ceux-ci et les usagers de services. Une forme de suspicion généralisée à l’encontre de tous ces intervenants ne fait que nourrir une érosion de l’État de droit et nuit, en bout de course, à l’ensemble des droits et libertés des citoyens et citoyennes.

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